Anciennement sponsorisée par le géant énergétique russe Gazprom, la formation a perdu sa licence UCI après l’éclatement de la guerre en Ukraine. Une mise au banc sportive incohérente qui a précipité sa chute. Le manager général Renat Khamidulin avait jusqu’au dimanche 27 mars pour sauver son équipe cycliste, en débauchant un repreneur. Il accuse l’UCI d’inaction.

Gazprom-RusVelo, victime collatérale de la guerre en Ukraine
Le 27 mars dernier, le manager général Renat Khamidulin a dû se résoudre à annoncer la suspension pour une durée indéterminée des activités de son équipe cycliste, qui écumait les pelotons il y a quelques semaines encore sous l’appellation Gazprom-RusVelo. Seulement, la guerre en Ukraine est passée par là, emportant au passage la structure créée en 2012 et sponsorisée depuis 2016 par Gazprom, entreprise très proche du pouvoir russe.
Le 1er mars, l’équipe russe subit de plein fouet les sanctions prises par l’Union Cycliste Internationale à l’encontre des institutions et des sportifs russes et biélorusses, en réaction à l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Immédiatement, Gazprom-RusVelo perd sa licence UCI et n’est plus autorisée à participer à aucune épreuve du calendrier international UCI, partageant le sort des autres équipes russes et biélorusses. Dans la foulée, soucieux de soigner leur image de marque, le fabricant de cycles Look et celui des roues carbones Corima, annoncent mettre un terme à leur partenariat avec la structure de Renat Khamidulin.

Pourtant, le 25 février, soit 24h après le début de l’invasion russe en Ukraine, il se montrait encore confiant, déclarant aux journalistes de CyclingTips que « nous sommes certains qu’il n’y aura aucune difficulté » pour « nos cyclistes de différentes nationalités » à « poursuivre leur activité professionnelle » malgré les sanctions prises par la communauté internationale contre Gazprom, le sponsor principal.
Quelques jours plus tard, les 21 coureurs se retrouvent désœuvrés, plongés dans l’insécurité la plus totale. Une situation vécue comme une injustice et une absurdité par certains d’entre eux.
Des sanctions injustes et incohérentes ?
C’est le cas de l’Italien de 33 ans Marco Canola, qui regrette une « situation désolante » car « nous sommes une équipe très européenne ». « Le siège de l’équipe est en Suisse, la langue parlée en interne est l’italien et parmi les coureurs il y a beaucoup d’Italiens, un Espagnol, un Norvégien, deux Tchèques… » explique le coureur aux journalistes de l’AFP.
Ainsi, les sanctions prises par l’UCI à l’encontre de l’équipe pénalisent non seulement des sportifs qui n’ont rien à voir avec le conflit – « il est évidemment inutile de préciser qu’aucun de nous ne veut cette guerre » détaille Marco Canola – mais en plus la majorité d’entre eux ne sont pas de nationalité russe, puisque sur les 21 coureurs composant l’effectif, seuls neuf le sont.

Renat Khamidulin, installé en Italie depuis des années, met lui aussi en avant le caractère international de l’équipe, dont le seul lien avec la Russie est Gazprom.
« L’UCI veut punir une équipe russe, mais ils sont en train de pénaliser des cyclistes d’Italie, de Norvège, d’Espagne et même du Costa Rica, déplore-t-il dans les colonnes de CyclingNews. Même si trois ou quatre de nos coureurs trouvent une nouvelle équipe, tous les autres vont être laissés sur le bord de la route. Ce n’est pas juste ! J’ai aussi un mécanicien ukrainien et du personnel russe qui ont des épouses ukrainiennes qui ont perdu leur emploi. Ils sont désespérés. »
« Certains d’entre nous risquent de finir là leur carrière, ce qui serait très injuste », abonde Marco Canola. Au total, selon Khamidulin, ce sont 52 employés, dont 21 coureurs, qui se retrouvent dans une situation précaire avec l’arrêt de l’équipe le 27 mars. Par ricochet, ce sont « 164 personnes au total qui vont être impactées par ça, y compris les familles et les personnes qui dépendent des ressources provenant de ces emplois ».
Inquiet pour l’avenir de sa structure, Khamidulin a donc de quoi être agacé par l’incohérence des sanctions imposées par l’UCI. D’autant que d’autres formations sont parvenues à trouver une parade pour les contourner. Ainsi, l’équipe continentale biélorusse Vozrozhdenie, managée par Mikhail Rostovtsev, un ancien de Gazprom-RusVelo et entraîneur de l’équipe nationale russe, évolue désormais sous licence géorgienne pour pouvoir poursuivre son activité.

Par ailleurs, si l’UCI a interdit à Gazprom-RusVelo de prendre le départ de la moindre épreuve cycliste, les coureurs Russes et Biélorusses membres d’une équipe non-russe ont pu quant à eux continuer à exercer leur métier sous bannière neutre. Alexander Vlasov, leader de la Bora-Hansgrohe, a même remporté récemment le Tour de la Communauté de Valence. De son côté, le franco-russe Pavel Sivakov (Ineos-Grenadiers) a définitivement opté pour la nationalité sportive française, afin que sa saison ne soit plus perturbée. « Mais pendant ce temps, Marco Canola ne peut pas faire de course, peste Khamidulin. Quelque chose ne va pas dans cette décision, elle n’est pas claire ».
Plus frustrant encore, plusieurs fonctionnaires russes et biélorusses membres des instances cyclistes internationales ont été étonnamment épargnés par les sanctions de l’UCI, d’après le média CyclingTips. C’est le cas d’un certain Igor Viktorovitch Makarov, fondateur de la firme pétrolière Itéra en 1992 et influent milliardaire très impliqué dans le cyclisme russe depuis une vingtaine d’années.

Ancien coureur cycliste du temps de l’URSS, cet oligarque expatrié en Floride, où mouille son yacht d’une valeur de 200 millions de dollars, devient président de la fédération russe de cyclisme en 2010, puis président d’honneur en 2016. Avant ça, il a participé à la mise en place du Russian Global Cycling Project en 2008, un projet ambitieux soutenu par Gazprom et Itéra. Adoubé par Vladimir Poutine, il avait pour mission de créer une équipe cycliste russe de haut niveau -ça sera l’équipe Katusha, présente en World Tour de 2009 à 2019- afin de donner à la Russie un vainqueur du Tour de France.
En 2011, Makarov grimpe encore dans la hiérarchie du cyclisme mondial en intégrant le comité directeur de l’Union Cycliste Internationale. Un statut que l’éclatement de la guerre en Ukraine n’a absolument pas remis en cause : à l’heure actuelle, Igor Makarov siège toujours au comité directeur de l’UCI, qui s’est abstenu de toute sanction à son égard.

Il n’est pas le seul à bénéficier de cette troublante mansuétude, qui tranche avec la mise à l’écart brutale de Gazprom-RusVelo. L’ancien cycliste russe Alexander Gusyatnikov et l’ancienne pistarde biélorusse Natallia Tsylinskaya sont également restés membres du Comité Directeur de l’Union Européenne de Cyclisme (UEC), sans que cela ne semble poser de problèmes à l’UCI, toujours muette sur le sujet. Il a fallu que la fédération britannique de cyclisme (British Cycling) boycotte le Congrès annuel de l’UEC, prévu le 6 mars, pour que Gusyatnikov et Tsylinskaya décident de s’auto-suspendre… mais jusqu’à quand ?
Si plusieurs fédérations font actuellement pression sur l’UCI et l’UEC pour écarter les fonctionnaires russes et biélorusses de leurs responsabilités le temps du conflit russo-ukrainien, le président de l’UCI David Lappartient ne s’est encore jamais exprimé sur le sujet. Trop occupé à gérer l’épineux cas Gazprom-RusVelo ?
Gazprom-RusVelo abandonné par l’UCI
Même pas. David Lappartient est aussi resté sourd à la détresse de Renat Khamidulin, qui se démène depuis plusieurs semaines pour trouver une solution et sauver son écurie. Dès que les sanctions sont tombées, le manager russe, soutenu par ses coureurs, a contacté l’UCI pour que l’équipe puisse continuer à courir, en attendant de trouver un nouveau sponsor. En vain, comme il l’a raconté à SpazioCyclismo :
« L’UCI a expliqué que deux choses n’allaient pas : le sponsor Gazprom et le nom RusVelo, qui rappellent la Russie. J’ai expliqué que l’équipe était basée en Italie et la société de gestion en Suisse, tandis que le sponsor, comme documenté, est Gazprom Allemagne. Nous avons proposé de courir avec un maillot blanc et un message de paix, mais cela n’a pas suffi à l’UCI. Nous avons cherché un dialogue et nous avons écrit, mais l’UCI ne nous a même pas répondu. »

« En tant que Russes, nous essayons de prendre nos responsabilités. Nous étions prêts à enlever l’ancien maillot et à changer le nom et le pays d’enregistrement de l’équipe », dit-il. « Mais malheureusement [l’UCI] ne nous a même pas donné une petite chance de dialogue. »
« Cette situation nous a démontré qu’une équipe et ses coureurs ne sont pas vraiment protégés quand ils n’apportent aucune valeur à l’UCI. Les gens ne sont pas protégés par l’organe directeur », poursuit M. Khamidulin, qui a dénoncé un « abus de pouvoir de l’UCI » tout en fustigeant l’inaction de David Lappartient, accusé de ne rien faire pour aider son équipe à survivre.
Tout espoir n’est pas perdu
Frustré et en colère, Renat Khamidulin s’est malgré tout attelé à retrouver un nouveau sponsor pour pouvoir terminer la saison. S’il disposait des fonds suffisants pour payer son personnel tout au long du mois de mars, il a dû suspendre les activités de l’équipe et libérer les coureurs de leur contrat le 27 mars, en attendant de débusquer un repreneur. Il manque entre 3,5 et 4 millions d’euros de budget pour boucler l’exercice 2022. Malgré quelques « contacts intéressants » avec certains sponsors, l’avenir de Gazprom-RusVelo est donc en suspens, tout comme celui de ses coureurs.

Ceux-ci continuent de s’entrainer dans leur coin, sur du matériel banalisé, vêtus d’un maillot blanc où toute trace d’identité russe a disparu. Les sept coureurs italiens peuvent profiter du soutien logistique de la fédération italienne. Cinq d’entre eux ont même pu accrocher un dossard en Italie, lors du Grand Prix Per Sempre Alfredo et de la Semaine Internationale Coppi et Bartali, sous les couleurs de la sélection transalpine : Alessandro Fedeli, Giovanni Carboni, Nicola Conci, Marco Canola et Cristian Scaroni.
D’autres, à l’instar du Tchèque Mathias Vacek, vainqueur d’une étape sur l’UAE Tour, ultime épreuve à laquelle Gazprom-RusVelo a participé, ont déjà été approché par d’autres équipes World Tour pour être recruté. Mais l’UCI, décidemment intransigeante dans cette affaire, n’a pas voulu assouplir son règlement pour permettre la réalisation de ces transferts.

Or, l’effectif des équipes World Tour ne peut pas dépasser 31 coureurs. A ce stade, nombreuses sont les formations à afficher complet (EF Education Easy Post, Ineos-Grenadiers, Intermarché Wanty Group Gobert, Israël-Premier Tech, Quick Step Alpha Vinyl et Trek-Segafredo) alors même que certaines d’entre elles sont minées par les cas de covid, de grippe et les blessures. Restent les formations de divisions inférieures (Continentales-Pro et Continentales), mais leur budget limité ne les autorise pas à recruter en pleine saison.
Conséquence, Khamidulin et ses hommes vont devoir continuer à ronger leur frein dans une certaine indifférence, en attendant qu’un sponsor veuille bien reprendre le projet d’ici la fin de la saison. Abandonné par l’UCI, pénalisé par des sanctions injustes pour les coureurs et incohérentes sous bien des aspects, ce qu’il reste de l’équipe Gazprom-RusVelo est plus que jamais en sursis. Mais Khamidulin l’a assuré à l’AFP, si sa structure a cessé ses activités, il n’a pas baissé les bras pour autant : « Nous allons continuer à chercher un nouveau sponsor principal. On a deux négociations en cours avec de possibles partenaires, si cela aboutit, on pourra sans doute repartir. »
Alexis Kopp